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L’Adieu au Dimanche

Des images au point de fusion d’un monde en paix basculant dans la guerre. Des associations d’images qui tentent de faire se retrouver l’avant et l’arrière.
 

D’étranges connexions s’établissent entre la légèreté des cartes postales de vacances (1900-1914) et le chaos des cartes postales de ruines (1914-1918).

J’ai associé deux images dans un fondu qui tentent de faire se retrouver l’avant et l’arrière sur un désir partagé, propre aux lettres qu’ils échangent.

Les soldats et leurs proches rêvent en effet de ces permissions qui leur redonneront trop brièvement le goût du dimanche – joyeuses bombances et promenades en famille.

Préface de Véronique Olmi ci-dessous

« L’adieu au dimanche

 

La vie, c’est le mouvement.

Aller.

Venir.

S’appeler.

Se chercher.

Se fuir.

Se retrouver.

La photo, au début du XXème siècle, est le mouvement arrêté, et la pose n’est pas toujours facile à tenir.

La photo, au début du XXème siècle, est une petite mise en scène. On forme un ensemble, on compose un tableau - un tableau heureux : pas question de photographier une dispute, une chute ou des pleurs…

La photo des dimanches début de siècle est une suite de poses joyeuses qui témoignent : on a fondé une famille, organisé de jolies fêtes, fait de beaux voyages… l’expression la plus commune est  le sourire. Et après tout, c’est peut-être ce qui reste d’une vie, ces instants de gaîté, ces enfants qui jouent, la beauté d’une femme…

Mais.

Mais, à partir de 1914, l’album photo est strié de grandes pages noires, les pages de l’Histoire qui se déclinent en une multitude d’histoires toutes différentes et toutes douloureuses.

A partir de 1914, les photos révèlent des hommes blessés, souillés, des chevaux morts, des Noëls à l’hôpital, des corps abandonnés, des croix de bois…

La souffrance.

La solitude.

L’hostilité de la vie.

Et cette hostilité est noire. Les photos de la guerre sont sombres, photos de feu, de boue, de trous, de ruines. Le contraste est violent avec ces enfants et ces jeunes filles en temps de paix : blancheur immaculée, virginité qui éblouit…

Photos en noir. Et blanc.

La nuit et le jour.

Le désespoir et l’insouciance.

L’uniforme ou la liberté.

La semaine ou le dimanche.

Le dimanche… Jour sacré du repos, du bien manger et du bien boire, de la messe, de l’adorable ennui, des siestes amoureuses, des promenades alanguies, des chansons de fin de repas… Sûrement, le dimanche, c’est comme le bonheur: on se rend compte qu’on l’avait quand on l’a perdu.

Il en reste le souvenir. Le cliché. Il y en avait, de ces photos, dans les poches des capotes boueuses, dans les portefeuilles humides, et les soldats regardaient cette beauté enfuie comme une antidote au malheur, et l’amour qu’ils éprouvaient alors, ou l’espoir de l’amour, ou l’attente de l’amour, était peut-être le seul sentiment qui les aidait à tenir.

Et quand ils revenaient.

Si jamais ils revenaient.

Les dimanches pouvaient-ils refleurir ?

Les poilus pouvaient-ils goûter à ce repos-là, s’endormir à l’ombre des grands arbres, chanter sans s’émouvoir, caresser sans frémir, rire sans remords, parler à leurs enfants, parler de leur guerre ?

C’est peu probable.

Alors, ils ont fait des albums. Des albums « 1914-1918 », encre violette sur pages grises, une parenthèse rouge, un accroc au bonheur, un adieu au dimanche.

 

L’exposition de Philippe Bertin, est une exposition de contrastes. Le meilleur et le pire. Toujours entre les mains de l’homme. Comme un aveu terrible du choix qui est le nôtre : la mort ou la vie.

La guerre ou la paix. »

Véronique Olmi.

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